Joseph Apoux, Un Drame.
Elle tisse, tapie, d'arachnéennes toiles,
La ténébreuse Parque aux aubes assombries,
Sous ses ongles striés éclatent les débris
Des rêves oubliés aux poussières d'étoiles.
Elle aima autrefois un archange arc-en-ciel,
Figé,le poing tendu, bandé sur la révolte;
Il sema l'ouragan que la nuée récolte...
L'amour moire depuis exhale un goût de fiel.
La solitaire alors dévora ses amants.
Quelle noce apocryphe aux rites infamants!
Son rut rutile d'or et de sang des orgies
Dont se vêt le soleil,habit de chair humaine;
Vainement les épris avinés se démènent,
La Muse énamourée jamais ne s'assagit.
A peine étais-tu née que tes yeux dévorants
S'ouvraient,abîme immense sur le pauvre monde;
Tes yeux qui dans le beau et l'angoisse se fondent
Quémandaient de l'amour avec des mains d'orant.
Lucide visionnaire aux tendresses sublimes,
Tu savais...Tes aïeux aux vices éhontés,
Tu savais...Les instants aux rebours décomptés,
La valse des amants aux tristes pantomimes.
Vaines les tentatives de t'amadouer,
Tu sortirais ,polie,une féline griffe;
Forte d' un évangile pour lors apocryphe,
Tu as tes précoces dogmes de surdouée.
J'ai voulu te connaître,je n'ai pas failli;
Nos pères,nos passés me poussaient à la fuite;
J'ai souhaité en dépit d'une histoire sans suite
Oublier pour toi tout ce que j'avais haï.
Je serai la Psyché qui jamais ne te ment,
La mémoire au secours de l'âme qui appelle;
Je vibre des mots qu'en secret ton coeur épelle.
Je ne regrette rien car je t'aime vraiment.
Ni malade, ni fou, ni blessé, ni croyant,
Ni triste cicatrisé d'incurables luttes,
Le miroir de notre âme est une anacoluthe
En forme de Janus au rire larmoyant.
Tes regards sont les paumes d' anciens rebouteux
Qui es tu? Un sauveur oedipien,pieds percés,
Tueur du monstre antique, le nouveau Persée?
Dom Quichotte arpentant les sentiers caillouteux...
Ta rencontre eut le goût des jouets d' un grenier,
Comme un vin poussiéreux d' un très haut millésime,
Une fleur étoilée qui n'essaime qu'aux cîmes,
Le goût des interdits trop longuement reniés.
Je renais à ta vue toi que nul ne connais,
Qui es tu, je ne sais mais ce que tu me touches!
Peu importe ta peau, le fluide de ta bouche,
Tu es importuné par le désir, tu n'es
Pas consistant, un passant sur un quai,un rire
Aux aléas, un informe génie du beau,
Sourd aux oracles d' or, au cri noir des corbeaux,
Aux mots d'amour coulant des cordes de ma lyre.
Que jamais Asmodée ne verse son poison
Aux veines assoiffées de plaisirs illicites,
Sois stoïque au démon qui jadis m' a maudite,
N' allons pas conquérir de mythique toison!
Mais tu n'es qu'un enfant, tu as tout oublié,
De brisure abrasive en corrosifs sarcasmes,
Un conte maladif, de la fièvre , des spasmes,
Alités...Menottés...Débridés...à lier!
Tu ne te souviens pas que ta main assassine
Fleurissait écorchée quand ma peau prenait feu,
Que d' aurores taries et que de soirs affreux,
Chacun de son mal être l'autre contamine.
Ne va pas ranimer le germe des blessures,
Nous n'irons plus chercher de sagesse à l' étang,
Nous n' irons plus tenter de comprendre le temps
Au lieu si silencieux que seul il nous rassure.
Bien sûr ce lac là brille comme un rêve ancien,
Mes larmes ont coulé en cette basilique,
Je vois le tourbillon des ajoncs, des reliques,
Dans le reflet menteur d' un miroir magicien.
Peut-être aurions nous dû, nous avons dit "peut-être",
C'était là le danger il faudrait être sûr,
Sûr de soi, sûr de moi, il fallait passer sur
Ma folie, ma laideur et ma terreur des maîtres.
Nous nous sommes gavés, de sang, d' eau, de liqueurs,
Par lampées ,par coulées, par gorgées, par rasades,
A l' infini, je t' ai aimé, ces mots sont fades...
Ni feu, ni fiel, ni ciel, ni amour, ni rancoeur.
Tu peins illusionniste la peine en couleurs,
En ma grise agonie j' ai effleuré la frange
Des plumes épanouies du plus beau des archanges,
Laisse-le je t' en prie recoudre ma douleur.
Marie ton miroir borgne aux orbites violets,
A la froide améthyste des veines violées,
Aux sources affaiblies de mes larmes d' eau pâle;
Marie ta peau de cuivre en ses sueurs d' opale
Aux trésors épuisés de mes vieux ors gelés,
Marie ton clair monocle à mon sombre orgelet,
Ta décadence osée aux folies qui m' empalent
Viens détacher la fleur d' un frigide sépale.
Mon monde se réduit à l'oeil de ton lorgnon,
Les longs bras de Vénus mutilés en moignons
Trop se sont mutinés en gestuelle obscène;
Que le rideau de pourpre ensanglante la scène
Pour que soient consommés du banquet les rognons,
La quinte des douleurs, cruciforme fanion..
Epouse-moi bourreau, la muse a son mécène,
La Seine a son berceau,l' aube sa nuit malsaine.
Ta fiancée méfiante endolorie se meurt,
La fiente des ramiers,la graine des semeurs,
Tombent, blanches rafales du haut des girouettes,
Le glas de nos destins, discordante pirouette
Disperse le suicide en sonores rumeurs.
L' amour est un cancer, la noce sa tumeur,
Juste un voile immobile qu'aucun vent ne fouette,
Les bans oubliés crient dans le rire des mouettes.
La lune était bleu nuit sur la place inouïe,
Sur mon sort s' est enfin refermée ta main ferme,
En mes veines glacées se ramifiait un germe;
Je rêvais sous le charme,inerte, évanouie.
Je te suivrai aux marches d' un obscur Beffroi
Suivant le labyrinthe d 'un étroit sillon,
Nous l' avons entendu le divin carillon,
Dissipant le silence du terrible effroi.
Ton esprit me réchauffe d' un ardent soufflet,
Pichenette au haut mal qui tôt me désespère,
Brûlant le souvenir des hontes de mes pères,
Contemple en ces canaux ton faunesque reflet.
Il faudra des moulins chanter la ritournelle,
Il faudra revenir aux chambres ordonnées,
Aux baisers sur la peau, aux coups de dés donnés,
Afin de terrasser les morts sempiternelles.
Hors d' ici pauvres hères, pleutres, petits mythes,
Il me faut un Orphée, Oedipe aux yeux crevés,
Un Rédempteur percé aux membres élevés
Pas un usurpateur qui le destin imite.
Mon astre ne peut être un Abélard castré,
Un chevalier frustré errant son amble triste,
Le ministre funeste d' un futur sinistre
Bêlant des prophéties,pâle oracle prostré.
Avide d' évider le cocon de ma haine
Il me faut un géant, âpre belligérant,
Maléfique stratège, fat réfrigérant
Qui va raréfier l' air de sa fétide haleine.
Ma génocide vengeance va s' assouvir
Non par le pardon donné en pusillanime,
Plutôt par un massacre que la rage anime,
De purulentes plaies vont se plaire à s' ouvrir.
Eve, ma mère,il te fallut croquer la pomme
Pour qu' enfin tu connusses le vrai mal à l' oeuvre;
Tes filles ont souvent avalé des couleuvres,
Afin de ressentir la puissance de l' homme.
Je t' admire , Marie, la seule Immaculée,
Notre Mer infinie oubliée des naufrages,
Pacifiant les terreurs, apaisant toute rage,
Par toi, j' ai abordé quelques miraculés.
De mes fonds reptiliens, ils m' ont toujours couverte
De leurs désirs visqueux en triangles gluants,
Leurs hymnes maladroits en instruments suants
Interprétaient des sonates blanchâtres et vertes.
Tu as dû en souffrir des affronts, des insultes,
Pour qu' une anamorphose d' eux fut acceptée,
Qui eut pu concevoir qu' une " fille" eût opté
Pour l' ascèse, le repentir, pas ces incultes.
C' est ton corps qu'ils voulaient , ton corps de pécheresse,
Tes tentations bourbeuses, tes ardents regrets,
Les jadis flamboyants que les démons maugréent,
Non les humides peurs au cours des Sécheresses.