mardi 18 juin 2013

Quand il ne reste plus que le silence...

Fussli: le silence



Quand se sont clos les yeux des mourants immortels,
Sous les doigts les lueurs coulent en grains de plage;
Ni les pleurs ni les pluies des brûlures soulagent,
Le souvenir stagnant s' estompe en tons pastels.

Taciturne le temps, muet le sablier,
Atones les accents...Un mot méconnaissable
Tente hasardeusement enfoui sous les sables
De livrer le secret de l' or des Templiers.

Mais aucun alchimiste à la fin n' arracha
Le prix de ranimer la chair qui se nécrose,
Ce qui survit, ou dort, ou se métamorphose
Etreint dans son écrin l' esprit de son rachat.

J' ai refusé les liens pour échapper au deuil,
La mort s' est contentée de mon cerveau binaire,
Merci de m' épargner les cibles liminaires,
Tambourinant à l' huis mais clouée sur le seuil.

Si la justice doit aplanir sa balance
En enfonçant son glaive au coeur qui me soutient,
Saignant le souffle et l' âme que tu as fait tiens,
Pour mes condoléances, je veux du silence.


mercredi 5 juin 2013

Tout le monde s' éclate ...

 Goya: Chronos dévorant ses enfants

 La minute figée,le kayros, l' heure exquise,
 La gloire à l' état brut, la médaille arrondie
 D'horloge pétrifiée qu' un rai brûlant fondit,
 L' aurore boréale baignant la banquise.

 Ce plaisir savouré que sonne l' immédiat,
 Plus fugitif que fange avant céleste ardeur,
 Plus vaporeux que vierge aux fugaces candeurs,
 L' instant tant glorieux, demain y remédia.

 C' est mirifique titre à la fin empoché,
Pactole inattendu,célébrité peut-être,
 Edifice flottant au dessus du salpêtre,
 Vainqueur sanguinolent, sans dents, les yeux pochés.

 Et puis c' est la descente après cette entrevue,
 On tutoyait la nuée à béance entrouverte,
 Il faut s' en retourner au gré des marées vertes,
 Repasser les échecs des matins en revue.

 L' éclat, cet or brutal, aux rayons éphémères
 Est le cadre sournois du lit de nos ennuis,
 L' aube est interrompue de mille et une nuits,
 Le glas de ces ébats crisse d' un rire amer.

 Saisir l' éternité, étreindre la durée,
 Sourds aux années qui passent , hideuses menaces,
 Enlacés sans ces liens qui blessent et qui lassent,
 Offrons au dieu du temps nos amours épurées.

mardi 21 mai 2013

Charité désordonnée

Otto Dix

Défunte est la pitié,asséchées les paupières,
Le clochard peut croupir sous un pont lézardé,
Le funambule au bord du fil se hasarder,
Toute veuve éplorée me laissera de pierre.

Assez de ces bontés que le monde vénère,
Même le pauvre hère a perdu sa saveur,
Ils ont volé l'aumône des mains du sauveur,
Les fausses charités,l'orgueil les rémunère.

Bienfaiteurs associés pour tant de nobles causes,
Au nom de tous les maux créant des groupuscules,
N'espérez pas de don de mon maigre pécule,
Ma poitrine est vidée de son organe en pause.

Où vont les démunis dans les gouffres noyés?
Notre état les fabrique,alors qu'il s'en occupe!
Il crée assez de pions pour de tels jeux de dupes,
Qui donc paiera le mien si je paie leur loyer?

Pourtant j'ai désiré partager mon manteau,
Ajouter une assiette à quelque errant qui passe,
Consoler du passé que la douleur ressasse,
Guérir les cécités,ouvrir tous les vantaux.

Mais les nécessiteux sont une armée des ombres,
Une hydre aux mille faces en vain repoussée,
Une moue de refus,humble épée émoussée,
Finit par défaillir assaillie sous le nombre.

Quand sonnera la trompe de l'Archange au glaive,
 Cherchant ceux qui auront visité des prisons,
Couvert des nudités en de froides saisons,
Mus par tous les élans que les ardeurs soulèvent;

 Que l'air se raréfie,que s'essouffle la plèvre,
Que se crispent de peur tous les membres tordus,
Si mon cœur au déclin est à jamais perdu,
Je veux avidement le boire sur tes lèvres.

lundi 29 avril 2013

Mentez, mentez, il n' en restera rien.

James Ensor: la mort et les masques.

 Si ce n' est envolée de sage en sa folie,
 Hallucination de voyant schizophrène,
 Conte pieux de parent qui son chagrin refrène
 Face au proche expirant dans son corps amolli;

 Si ce n' est trahison de la mémoire en friche,
 Portrait flatteur d' amant de l' aimée trop épris,
 Colérique transport outrant tout son mépris,
 Coquette qui se peint, jeune cancre qui triche;

 Si ce n' est le roman des univers meilleurs,
 Le trait enjolivé des courbes insensées,
 La statue au regard perdu dans nos pensées,
 Le rêve mélodieux d' ondes jaillies d' ailleurs;

 Tout acte qui recrée, suscite ou transfigure
 L'image du vivant souillée des boues primales,
 La transe de l' orant et l' extase anormale
 Des prophètes nouveaux aux sinistres augures;

 Honnis soient les fauteurs de notre cécité,
 Répétant après l' Autre que nous sommes dieux,
 Mêlant le clair au faux en fluides insidieux,
 Ils appellent Lumières notre opacité.

 Si brisée, muselée, j' ânonnais une phrase,
 Afin de démentir ces infâmes sauriens,
 Ce serait l'hymne sans lequel je ne vaux rien:
 "Que la vraie charité toute la terre embrase."


 

vendredi 19 avril 2013

Autoportrait ( attention, fragile)

Füssli: le fameux cauchemar

 Vierge folle ou trop sage, docile à lier,
 Calfeutrée de cocons, suffoquant d' impostures,
 Evanouie d' ivresses dans les vies futures,
 Je n' ai pas eu d' enfance ou je l' ai oubliée.

 Du rien, du creux, du vide, et à perte de vue
Le néant d' horizons qu' aucun souffle ne hante,
La grisâtre fadeur que nulle aube ne tente,
Seuls des rêves teintés que l' on passe en revue.

Happée par les abîmes, broyée de malaise,
La fuite pourquoi pas, se suicider peut être,
Ecrire sous les chaînes, lire sous les hêtres,
Je fus nonne une année , fermons la parenthèse.

Sainteté, sainteté, ma beauté ma passion,
En armure, à l' épée, je me suis fait pucelle,
Mériter les trésors dont le ciel étincelle,
Sainteté, sainteté, mon voeu, mon obsession!

 Je me suis crue nimbée des amères couronnes
Offertes au martyrs qui t' ont tout sacrifié.
Mais que vaut un stigmate de chair scarifiée
Quand l' hymne est psalmodiée par une voix aphone?

Quand l' air pur est trop haut, peut on me pardonner,
Si maculée de boue ou avide de miasmes,
J' aspire goulûment en tressautant de spasmes
Quelques modestes joies qu' on veut bien me donner?

Ou bien jusqu' en enfer où tout mon corps s' enfonce,
Devrai je encor subir en mon soir harassant
Avec le doigt levé et son oeil menaçant,
Ce grand inquisiteur éructant sa semonce....






samedi 6 avril 2013

Tout fout le camp même Satan, mais où sont les diables d' antan?



Blake : dragon rouge ( L' Ange du bizarre, encore )


Le mal suprême même erre désenchanté,
 A quel juste vouer un délictueux mensonge?
 Où quérir l' être pur que les erynnies rongent?
Quelles âmes corrompre? Quelle chair tenter?

 Pauvre lune échouée en vain ton ancre mouille
 Au ciel des cauchemars,toi l' épave amarrée;
 Nul ne craint le rayon de ton oeil effaré
 Sur quelque horrible pose d' affreuse gargouille.

 Diable est mort! Diable est mort!Diable tourne le dos
 Au monde indifférent qui se change en cloaque,
 Ce sont eux les serpents à la langue qui claque;
 Leurs blasphèmes sifflants s' élèvent crescendo.

 Satan est désoeuvré, Satan est au chômage...
 En Docile apprentie à toutes ses leçons,
 L' humanité l' imite enfin à l' unisson,
 Mécanique conçue à sa sordide image.

 Lucifer perd l' espoir,invoque l'Esprit Saint,
 Implore le secours d' une autre Pentecôte,
 Supplie de s' incarner pour expier sa faute:
 Il sent qu' il a nourri un aspic dans son sein.

jeudi 28 mars 2013

La dignité de l' Etre (Vendredi Saint)

Grünewald: rétable


Mon être, ô ma beauté, façonné dans la boue,
Toi la branche affiliée au tronc qui est ta souche,
Toi l' astre déclinant qui pour naître se couche,
Satellite alité, le ciel te tient debout.

Que glapissent les cris exerçant leur violence,
Que fouaille l' épée du mensonge asservi,
Que la haine vomisse le faux aux parvis,
Sans cesse ta genèse à la splendeur relance.

Tu me suis aux Enfers, intelligent Orphée
Je suis née de ta côte, compagne de lutte,
Ton chant de ralliement s' échappant de ta flûte
M' a tirée du néant, du poison de Morphée.

J' espère que l' aspic écrasé par la Dame,
Sonnant la mort des corps, ô cor de Jericho,
Envoyant au désert des boucs, des bourricots,
Ne soupèse pas même une pelletée d' âmes.

Le pardon est acquis à qui donne sa part
De ce qui s' est promis parmi les hémisphères,
De ce qui est remis sans jamais satisfaire
L' envie des fins de vie ou des nouveaux départs.

Aux temps des démissions, à qui donc se fier?
Que croire , que penser, quand les heures s' agitent,
Où vont les rémissions, qui m' offrira un gîte,
Sinon tes gigantesques bras de crucifié?


"La Mère se tenait douloureuse,
Près de la Croix, baignée de larmes,
Là où pendait
Son Fils."